A chacun son job ! Loin de moi l’idée de vouloir mettre des technocrates à la place des
dirigeants politiques ... Mais il ne fallait certainement pas non plus éliminer les cadres
techniques compétents et les remplacer par des commerciaux ou des financiers ! Les uns et
les autres sont complémentaires et le pouvoir doit être partagé équitablement entre eux.
En fin de carrière d'ingénieur, de 1997 à 1999, j'ai eu à subir la "punition" morale de servir
en Belgique, sous les ordres d'un directeur d’usine, ancien responsable commercial,
charmant, cultivé, non technicien et, malheureusement pour son usine, très sûr de lui et
totalement incompétent. Cet homme, qui avait probablement subi dans sa jeunesse le
pouvoir arrogant de certains ingénieurs de l'époque, avait développé une haine féroce pour
tout ce qui était technique et particulièrement pour les ingénieurs.
Au moment de mon départ à la retraite, en septembre 2000, j'ai écrit le texte suivant
pour mes anciens collègues et amis techniciens, qui avaient partagé mes frustrations :
… « Dans bon nombre de grandes entreprises, la fin des années 80 a été marquée par une
"prise de pouvoir" des financiers et des commerciaux au détriment des techniciens et
particulièrement des ingénieurs. Cette modification assez fondamentale a même entraîné
un désintéressement des jeunes pour les études techniques et une pénurie de jeunes
techniciens compétents.
Comme le savaient si bien les grands "maîtres de forge", qui ont créé notre environnement
industriel, les usines performantes sont nécessairement celles qui sont très bien
entretenues et gérées par du personnel compétent, motivé, bien encadré et respectueux
de son outil de travail. Les coûts techniques d'entretien, de remplacement et
d'amélioration de l'outil de production sont importants et sont souvent du même ordre de
grandeur que les bénéfices de l'entreprise. Ces frais sont inévitables et relativement
incompressibles : personnel technique propre ou sous-traité, entretien préventif ou curatif,..
les résultats financiers sont similaires. Il est logique, dès lors, d'admettre dans une
usine, un quota donné de personnel technique inscrit de 10 à 25%, suivant le type d'usine,
et un taux normal des dépenses d'entretien par rapport à la valeur de remplacement de 3 à
4%. Tous les soins doivent être apportés à la bonne gestion et à l'optimisation de ces dépenses
indispensables.
Il y a une vingtaine d'années, donc, tout allait assez bien dans le monde industriel…. Le
concept de "Qualité Totale" se propageait dans les usines, à la satisfaction générale,
rendant enfin aux travailleurs la joie et la fierté du travail bien fait. Mais hélas, cela ne
devait pas durer! Quelques années plus tard, sous l'impulsion de certaines universités
américaines, de Prix d'Excellence en sauts à l'élastique, de PNL (programmation
neurolinguistique) en bourrage de crâne manipulateur, les managers occidentaux se
tournaient résolument vers les Certifications ISO 9000, ersatz de qualité, et vers la
mondialisation, trop souvent synonyme de délocalisation vers des pays plus pauvres et donc
moins chers.
Le concept de Qualité était donc rapidement récupéré et le travail ne trouverait désormais
plus sa justification et sa récompense que dans la satisfaction des actionnaires et des banquiers.
Pour mieux contrôler la source des revenus, on décide de briser les grands
ensembles traditionnels, où le travailleur était roi, pour créer des petites entités
indépendantes et vulnérables, les business units, soumises au dictât des financiers qui
n'hésiteront pas à les liquider dès que le seuil inférieur de rentabilité (15%) sera atteint.
L'encadrement des entreprises subit "l'épuration ou le nettoyage technique".
La direction des usines est confiée à des cadres financiers ou commerciaux peu
compétents pour ce genre de responsabilités. Les pauvres "nouveaux directeurs" ne
comprenant pas, par exemple, que les frais techniques sont incontournables et souvent
incompressibles, se sont mis à supprimer les outils de gestion technique dans un but
"louable" de simplification, et à "négocier" avec leurs subalternes des réductions
drastiques non raisonnables des coûts techniques de production plutôt que de s'imposer
des améliorations justifiées, mais exigeantes, de la qualité des produits.
La frustration de nombreux ingénieurs, reconnus pour leur compétence par leurs collaborateurs,
parfois soumis à un véritable harcèlement moral par la nouvelle hiérarchie, ne
peut que déstabiliser et décourager l'ensemble des agents techniques des usines, sans qui
aucun résultat n'est cependant possible. Il faut mettre fin à cette situation, si on ne veut
pas voir le savoir-faire quitter définitivement nos entreprises et notre continent »….
Certains, se rendant compte de l'erreur faite en donnant tous les pouvoirs aux financiers
et aux commerçants au détriment des techniciens compétents, parlent déjà d'effet
balancier, et s'imaginent que les choses pourraient rapidement revenir à leur place, comme
par le passé.
Cela me semble très naïf, car il faudra peut-être 15 à 20 ans pour recréer un réseau
complet de compétences depuis les étudiants jusqu'aux directeurs d'usines. L'épuration
technique aura certainement des conséquences profondes et durables sur le monde
industriel et sur la bourse. Il faudra longtemps avant que la confiance soit rétablie, car il
s'agit notamment de remettre sur pied des méthodes de saine gestion qui replacent enfin
le comptable au service de la production et de la technique et non plus à la solde des
financiers et des commerçants.
Jacques Berhaut
A chacun son job ! Loin de moi l’idée de vouloir mettre des technocrates à la place des dirigeants politiques ... Mais il ne fallait certainement pas non plus éliminer les cadres techniques compétents et les remplacer par des commerciaux ou des financiers ! Les uns et les autres sont complémentaires et le pouvoir doit être partagé équitablement entre eux. En fin de carrière d'ingénieur, de 1997 à 1999, j'ai eu à subir la "punition" morale de servir en Belgique, sous les ordres d'un directeur d’usine, ancien responsable commercial, charmant, cultivé, non technicien et, malheureusement pour son usine, très sûr de lui et totalement incompétent. Cet homme, qui avait probablement subi dans sa jeunesse le pouvoir arrogant de certains ingénieurs de l'époque, avait développé une haine féroce pour tout ce qui était technique et particulièrement pour les ingénieurs.
Au moment de mon départ à la retraite, en septembre 2000, j'ai écrit le texte suivant pour mes anciens collègues et amis techniciens, qui avaient partagé mes frustrations :
… « Dans bon nombre de grandes entreprises, la fin des années 80 a été marquée par une "prise de pouvoir" des financiers et des commerciaux au détriment des techniciens et particulièrement des ingénieurs. Cette modification assez fondamentale a même entraîné un désintéressement des jeunes pour les études techniques et une pénurie de jeunes techniciens compétents.
Comme le savaient si bien les grands "maîtres de forge", qui ont créé notre environnement industriel, les usines performantes sont nécessairement celles qui sont très bien entretenues et gérées par du personnel compétent, motivé, bien encadré et respectueux de son outil de travail. Les coûts techniques d'entretien, de remplacement et d'amélioration de l'outil de production sont importants et sont souvent du même ordre de grandeur que les bénéfices de l'entreprise. Ces frais sont inévitables et relativement incompressibles : personnel technique propre ou sous-traité, entretien préventif ou curatif,.. les résultats financiers sont similaires. Il est logique, dès lors, d'admettre dans une usine, un quota donné de personnel technique inscrit de 10 à 25%, suivant le type d'usine, et un taux normal des dépenses annuelles d'entretien par rapport à la valeur de remplacement de 3 à 4%. Tous les soins doivent être apportés à la bonne gestion et à l'optimisation de ces dépenses indispensables.
Il y a une vingtaine d'années, donc, tout allait assez bien dans le monde industriel…. Le concept de "Qualité Totale" se propageait dans les usines, à la satisfaction générale, rendant enfin aux travailleurs la joie et la fierté du travail bien fait. Mais hélas, cela ne devait pas durer! Quelques années plus tard, sous l'impulsion de certaines universités américaines, de Prix d'Excellence en sauts à l'élastique, de PNL (programmation neurolinguistique) en bourrage de crâne manipulateur, les managers occidentaux se tournaient résolument vers les Certifications ISO 9000, ersatz de qualité, et vers la mondialisation, trop souvent synonyme de délocalisation vers des pays plus pauvres et donc moins chers.
Le concept de Qualité était donc rapidement récupéré et le travail ne trouverait désormais plus sa justification et sa récompense que dans la satisfaction des actionnaires et des banquiers. Pour mieux contrôler la source des revenus, on décide de briser les grands ensembles traditionnels, où le travailleur était roi, pour créer des petites entités indépendantes et vulnérables, les business units, soumises au dictât des financiers qui n'hésiteront pas à les liquider dès que le seuil inférieur de rentabilité (15%) sera atteint. L'encadrement des entreprises subit "l'épuration ou le nettoyage technique".
La direction des usines est confiée à des cadres financiers ou commerciaux peu compétents pour ce genre de responsabilités. Les pauvres "nouveaux directeurs" ne comprenant pas, par exemple, que les frais techniques sont incontournables et souvent incompressibles, se sont mis à supprimer les outils de gestion technique dans un but "louable" de simplification, et à "négocier" avec leurs subalternes des réductions drastiques non raisonnables des coûts techniques de production plutôt que de s'imposer des améliorations justifiées, mais exigeantes, de la qualité des produits.
La frustration de nombreux ingénieurs, reconnus pour leur compétence par leurs collaborateurs, parfois soumis à un véritable harcèlement moral par la nouvelle hiérarchie, ne peut que déstabiliser et décourager l'ensemble des agents techniques des usines, sans qui aucun résultat n'est cependant possible. Il faut mettre fin à cette situation, si on ne veut pas voir le savoir-faire quitter définitivement nos entreprises et notre continent »….
Certains, se rendant compte de l'erreur faite en donnant tous les pouvoirs aux financiers et aux commerçants au détriment des techniciens compétents, parlent déjà d'effet balancier, et s'imaginent que les choses pourraient rapidement revenir à leur place, comme par le passé.
Cela me semble très naïf, car il faudra peut-être 15 à 20 ans pour recréer un réseau complet de compétences depuis les étudiants jusqu'aux directeurs d'usines. L'épuration technique aura certainement des conséquences profondes et durables sur le monde industriel et sur la bourse. Il faudra longtemps avant que la confiance soit rétablie, car il s'agit notamment de remettre sur pied des méthodes de saine gestion qui replacent enfin le comptable au service de la production et de la technique et non plus à la solde des financiers et des commerçants.
A chacun son job ! Loin de moi l’idée de vouloir mettre des technocrates à la place des
dirigeants politiques ... Mais il ne fallait certainement pas non plus éliminer les cadres
techniques compétents et les remplacer par des commerciaux ou des financiers ! Les uns et
les autres sont complémentaires et le pouvoir doit être partagé équitablement entre eux.
En fin de carrière d'ingénieur, de 1997 à 1999, j'ai eu à subir la "punition" morale de servir
en Belgique, sous les ordres d'un directeur d’usine, ancien responsable commercial,
charmant, cultivé, non technicien et, malheureusement pour son usine, très sûr de lui et
totalement incompétent. Cet homme, qui avait probablement subi dans sa jeunesse le
pouvoir arrogant de certains ingénieurs de l'époque, avait développé une haine féroce pour
tout ce qui était technique et particulièrement pour les ingénieurs.
Au moment de mon départ à la retraite, en septembre 2000, j'ai écrit le texte suivant
pour mes anciens collègues et amis techniciens, qui avaient partagé mes frustrations :
… « Dans bon nombre de grandes entreprises, la fin des années 80 a été marquée par une
"prise de pouvoir" des financiers et des commerciaux au détriment des techniciens et
particulièrement des ingénieurs. Cette modification assez fondamentale a même entraîné
un désintéressement des jeunes pour les études techniques et une pénurie de jeunes
techniciens compétents.
Comme le savaient si bien les grands "maîtres de forge", qui ont créé notre environnement
industriel, les usines performantes sont nécessairement celles qui sont très bien
entretenues et gérées par du personnel compétent, motivé, bien encadré et respectueux
de son outil de travail. Les coûts techniques d'entretien, de remplacement et
d'amélioration de l'outil de production sont importants et sont souvent du même ordre de
grandeur que les bénéfices de l'entreprise. Ces frais sont inévitables et relativement
incompressibles : personnel technique propre ou sous-traité, entretien préventif ou curatif,..
les résultats financiers sont similaires. Il est logique, dès lors, d'admettre dans une
usine, un quota donné de personnel technique inscrit de 10 à 25%, suivant le type d'usine,
et un taux normal des dépenses d'entretien par rapport à la valeur de remplacement de 3 à
4%. Tous les soins doivent être apportés à la bonne gestion et à l'optimisation de ces dépenses
indispensables.
Il y a une vingtaine d'années, donc, tout allait assez bien dans le monde industriel…. Le
concept de "Qualité Totale" se propageait dans les usines, à la satisfaction générale,
rendant enfin aux travailleurs la joie et la fierté du travail bien fait. Mais hélas, cela ne
devait pas durer! Quelques années plus tard, sous l'impulsion de certaines universités
américaines, de Prix d'Excellence en sauts à l'élastique, de PNL (programmation
neurolinguistique) en bourrage de crâne manipulateur, les managers occidentaux se
tournaient résolument vers les Certifications ISO 9000, ersatz de qualité, et vers la
mondialisation, trop souvent synonyme de délocalisation vers des pays plus pauvres et donc
moins chers.
Le concept de Qualité était donc rapidement récupéré et le travail ne trouverait désormais
plus sa justification et sa récompense que dans la satisfaction des actionnaires et des banquiers.
Pour mieux contrôler la source des revenus, on décide de briser les grands
ensembles traditionnels, où le travailleur était roi, pour créer des petites entités
indépendantes et vulnérables, les business units, soumises au dictât des financiers qui
n'hésiteront pas à les liquider dès que le seuil inférieur de rentabilité (15%) sera atteint.
L'encadrement des entreprises subit "l'épuration ou le nettoyage technique".
La direction des usines est confiée à des cadres financiers ou commerciaux peu
compétents pour ce genre de responsabilités. Les pauvres "nouveaux directeurs" ne
comprenant pas, par exemple, que les frais techniques sont incontournables et souvent
incompressibles, se sont mis à supprimer les outils de gestion technique dans un but
"louable" de simplification, et à "négocier" avec leurs subalternes des réductions
drastiques non raisonnables des coûts techniques de production plutôt que de s'imposer
des améliorations justifiées, mais exigeantes, de la qualité des produits.
La frustration de nombreux ingénieurs, reconnus pour leur compétence par leurs collaborateurs,
parfois soumis à un véritable harcèlement moral par la nouvelle hiérarchie, ne
peut que déstabiliser et décourager l'ensemble des agents techniques des usines, sans qui
aucun résultat n'est cependant possible. Il faut mettre fin à cette situation, si on ne veut
pas voir le savoir-faire quitter définitivement nos entreprises et notre continent »….
Certains, se rendant compte de l'erreur faite en donnant tous les pouvoirs aux financiers
et aux commerçants au détriment des techniciens compétents, parlent déjà d'effet
balancier, et s'imaginent que les choses pourraient rapidement revenir à leur place, comme
par le passé.
Cela me semble très naïf, car il faudra peut-être 15 à 20 ans pour recréer un réseau
complet de compétences depuis les étudiants jusqu'aux directeurs d'usines. L'épuration
technique aura certainement des conséquences profondes et durables sur le monde
industriel et sur la bourse. Il faudra longtemps avant que la confiance soit rétablie, car il
s'agit notamment de remettre sur pied des méthodes de saine gestion qui replacent enfin
le comptable au service de la production et de la technique et non plus à la solde des
financiers et des commerçants.
Jacques Berhaut-